"Le masque reste une mesure barrière essentielle" : entretien avec le Pr Hansmann, chef du service d’infectiologie des HUS

Le professeur Yves Hansmann dirige le services des maladies infectieuses et tropicales au Nouvel Hôpital Civil de Strasbourg. Il nous a accordé un long entretien pour faire le point sur la situation épidémique en Alsace et les sujets relatifs à cette situation sanitaire inédite.

4 mai 2021 à 11h29 par Pierre Maurer

DKL DREYECKLAND
Le Pr Hansmann dans son service le 30 septembre 2020 à Strasbourg
Crédit : PM/DKL

Pierre Maurer - DKL : Professeur, en arrivant dans votre service, on ne voit pas un afflux de patients ni de soignants : les couloirs paraissent calmes. Qu'en est-il ? Quelle est la réalité de la situation ici aux HUS ?

Pr Yves Hansmann Actuellement, on constaté une augmentation du nombre de patients hospitalisés pour une Covid-19. Ceci dit, cette augmentation n'a rien à voir avec ce que l'on a connu au mois de mars où l'on a été submergés, il faut le dire... Là, on a pu gérer un peu plus facilement.
Il faut savoir que le service des maladies infectieuses a été dédié entièrement à la prise en charge de ces patients. Pour l'heure, cela semble suffisant (…)
Depuis une bonne semaine, les choses se sont stabilisées, c'est à dire que l'on continue à admettre de nouveaux patients mais il y a à peu près autant de patients qui arrivent que de patients qui ressortent de l'hôpital en bonne santé.

"Depuis une bonne semaine, les choses se sont stabilisées" Pr Yves Hansmann

Est-ce-que ce ces patients que vous venez de traiter ces dernières semaines sont ceux qui ont contracté la Covid lors de leurs vacances ou à la fin de l'été ?

C'est difficile de savoir précisément d'où ça vient car ils ont contracté le virus dans différentes situations. A la fin du mois d'août, on a eu une poussée un peu plus importante avec, quand on interrogeait les personnes, beaucoup de monde qui semble s'être contaminé sur le lieu de vacances. Il y a peut-être aussi un phénomène lié à la rentrée, le retour des étudiants qui se retrouvent entre eux, c'est normal. Mais il y a aussi les contaminations dans le cadre familial ou sur le lieu de travail : c'est assez varié.


Ces cas de transmission et de contagion dans les cellules familiales ou professionnelles semblent en effet se multiplier. Y'a-t-il des précautions particulières à prendre lorsque l'on est confronté à ces situations ?

Effectivement, c'est important de savoir qu'il faut rester vigilant. [Le virus] circule plus que cela a été le cas avant l'été et que le risque d'être contaminé est donc, lui aussi, plus important.Ce risque, on a du mal à l'estimer avec précision. On peut se contaminer partout en réalité : dans les transports, dans des endroits clos, dans les magasins... On sait que les commerçants continuent d'être très vigilants à cela. Il faut aussi continuer à porter le masque et penser à l'hygiène des mains. On sent qu'il y a un léger relâchement à ce sujet depuis le déconfinement. Je pense que c'est une vigilance au quotidien (…) même si à la maison cela reste compliqué, on ne peut pas porter le masque lors des repas par exemple. Il faut rester prudent !


Comment le corps médical appréhende-t-il aujourd'hui la maladie et la manière de procéder avec les malades ? Les connaissances ont-elles changé ?

Au niveau de la transmission du virus, il y a beaucoup de discussions [entre scientifiques, ndlr] car d'un virus à l'autre, la transmission n'est pas la même. Dans le cas de la Covid, cela passe par les voies respiratoires. On inhale le virus. Mais il est parfois difficile d'estimer le contexte, la distance de contamination... Quels sont les faits qui vont exposer l'autre : car il a éternué ? Postillonné ? (…)
Le masque en tout cas reste une barrière essentielle.


On évoquait tout à l'heure la rentrée et les contaminations liées à cela. Est-ce qu'il faut craindre un nouveau pic de contaminations avec l'automne et l'hiver qui arrivent... On vivra moins dehors et davantage dedans, avec la promiscuité que cela implique. Avec quelles conséquences ?

On s'est rendu compte qu'il y a beaucoup de choses qui interviennent dans ce qu'on appelle l'épidémiologie du virus, la manière dont il circule. Ce sont des choses qui ne sont pas totalement maîtrisées car on ne peut pas prévoir notre comportement à l'avance ! On va effectivement être plus à l'intérieur... mais dans le même temps, on va peut-être moins se retrouver en grands groupes ? Cela aura une influence sur la transmissibilité des virus, c'est certain.


Et sans compter que cela risque de se superposer à l'épidémie de grippe ?

C'est en effet un point sur lequel nous sommes attentifs car les symptômes de la grippe sont assez proches de ceux de la Covid-19. Il va donc être très difficile de faire la différence entre quelqu'un qui a une grippe ou la Covid ! Donc toutes les personnes qui ont ce genre de signes (toux, fièvre, température), on va les considérer comment étant potentiellement infectés puis on fera des prélèvements [à leur arrivée à l'hôpital, ndlr], on va mettre en place une démarche qui pourra aller jusqu'à l'isolement. Cela va alourdir la prise en charge mais il faut que l'on soit prudents !
On doit se préparer notamment dans les services d'urgence où le flux des patients pourra être ralenti car on a besoin d'avoir plus d'éléments complémentaires pour « faire le tri ».


Par conséquent, faut-il appeler à une vaccination plus massive contre la grippe ?

Oui, on pense que cela peut être intéressant de disposer d'une bonne immunité collective pour la grippe. Le vaccin est assez efficace, il confère une bonne protection. Il faudra privilégier avant tout les personnes à risque comme les seniors ou celles qui ont des difficultés respiratoires ou cardiologiques, c'est très important.
Mais on sera aussi « incitatifs » sur d'autres populations pour essayer d'interrompre la transmission de ce virus de la grippe, afin d'éviter la superposition avec la Covid. Cela nous paraît intéressant et on va aussi faire un effort particulier pour que le personnel soignant soit également bien protégé contre cette grippe.

"Concernant la grippe, on doit se préparer notamment dans les services d'urgence où le flux des patients pourra être ralenti car on a besoin d'avoir plus d'éléments complémentaires pour « faire le tri »" Pr Yves Hansmann

Quel regard portez-vous sur cette fin d'année et le risque de reprise de la contamination avec les fêtes de famille qui créeront du brassage ? Un nouveau pic semble inévitable ? Ou une courbe en « dents de scie » ?

Maintenant, avec le recul, on peut se dire que cette courbe de contamination en « dents de scie » risque d'arriver, sans faire de prévision exacte. On voit combien les comportements vont être facilitateurs de la transmission. D'un pays à l'autre, on voit bien que l'épidémie est différente et la forme de la courbe également. En fonction des habitudes de chacun et des mesures qui sont prises, l'épidémie est très différente.
Il va falloir prendre l'habitude de voir ces « montées » [de la courbe, ndlr] et on espère aussi pouvoir les maîtriser avec un certain nombre de mesures.


Et opter pour un confinement « préventif », comme cela a été demandé par des Prix Nobel ces derniers temps ? Est-ce réaliste et envisageable ?

C'est compliqué : le confinement est une mesure douloureuse (…) mais efficace, on a pu le constater avec celui du mois de mars, cela a bien été démontré. L'idée serait d'affiner cela, d'arriver à déterminer quels seraient les moyens les moins douloureux possibles pour l'ensemble de la population pour limiter la diffusion du virus. Je pense que ce que l'on est en train de vivre en ce moment, où on essaye de voir comment réagir avec la fermeture des bars et restaurants par exemple... On teste, on n'est pas sûr à 100% que cela va régler le problème.
A Strasbourg, la situation est mieux maîtrisée : on n'a pas besoin d 'arriver à ces mesures là pour l'instant [celles en vigueur à Marseille ou encore Paris, ndlr] mais après on essaye d'adapter. D'ici les fêtes de fin d'année, on pourra voir comment se trouve la circulation du virus d'ici là. Si elle est à un niveau élevé, il faudra peut-être relever les mesures. Si c'est à un niveau plus faible, cela ne sera pas le cas... C'est en tous cas le bon sens qui doit primer, sans empêcher les fêtes de famille mais l'idéal sera de limiter les regroupements de personnes sans masques.

"A Strasbourg, la situation est mieux maîtrisée" Pr Yves Hansmann

Et pour les marchés de Noël qui se profilent... Les avis divergent, entre les appels à l'annulation, au maintien. En Allemagne, on a pris localement la décision de ne pas servir de boisson ou de nourriture. Y'a-t-il une « bonne » méthode permettant la tenue de ces marchés selon vous ?

Si on savait à l'avance quelle était la bonne méthode, on l'appliquerait ! (rires) La méthode la plus efficace est aussi la plus contraignante, il faut donc trouver un juste milieu pour qu'il n'y ait pas un impact économique trop fort. L'idée serait peut-être de maintenir un certain nombre d'activités, par exemple. Je ne suis pas décideur mais si le marché [de Strasbourg, ndlr] est maintenu, il faudra certainement réfléchir au maintien des distances physiques entre les personnes. Il faudra peut-être éviter aussi (comme vous le dites) la vente de boissons qui impose le retrait du masque... Ce sont des petites choses mais elles pourraient permettre d'éviter la dissémination du virus.