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Harcèlement au sein du couple et de la famille : une réalité sous-estimée aux répercussions majeures

Publié : 5 juin 2025 à 6h00 - Modifié : 5 juin 2025 à 15h09
Mandy Vereecken

Alors que des mesures concrètes ont été mises en place ces dernières années pour lutter contre le harcèlement scolaire ou celui qui survient dans l’espace public, une autre forme de harcèlement reste encore peu connue et insuffisamment reconnue : celle qui se manifeste dans l’intimité du foyer, au sein du couple ou de la famille.


Faouzia Sahraoui, psychologue clinicienne et directrice générale de SOS France Victimes 67, copréside cette année les assises de France Victimes qui se déroulent à Strasbourg les 5 et 6 juin. Pour elle, le harcèlement, sous toutes ses formes, demeure « difficile à identifier » et « complexe à définir », en particulier lorsqu’il s’exerce dans le cadre familial.


Même le Code pénal n’en donne qu’une définition relativement générale. L’article 222-33-2-2 évoque des comportements ou propos répétés ayant pour effet de dégrader les conditions de vie de la victime, avec une atteinte à sa santé mentale ou physique.


Cédric Balland, juriste et directeur du service d’aide aux victimes au sein de la même association, précise les éléments concrets qui caractérisent l’infraction : propos humiliants, menaces, insultes, intimidation… à condition qu’ils soient récurrents. Le harcèlement au sein du couple, du concubinage ou entre partenaires fait partie des cas les plus sévèrement sanctionnés, au même titre que le harcèlement scolaire.


Faouzia Sahraoui rappelle qu’il n’existe pas de profil-type de victime : toutes les catégories sociales, économiques ou culturelles peuvent être touchées. Néanmoins, les femmes restent les premières concernées, selon les données disponibles.« Les hommes peuvent eux aussi être victimes, mais dans la sphère privée, les femmes sont largement majoritaires, ce qui reflète les mêmes tendances que pour les violences intrafamiliales », précise-t-elle.


Le harcèlement familial peut frapper à tout âge : un enfant peut être ciblé par ses parents, un adulte par son enfant, ou encore un aîné par un membre plus jeune de sa famille. Et même en l’absence de coups, les impacts psychologiques peuvent être dévastateurs : dépression, isolement, troubles du sommeil, fatigue chronique, perte d’estime de soi, problèmes digestifs ou encore manifestations psychosomatiques.« Certaines victimes ont même tenté de mettre fin à leurs jours, souvent comme un cri de détresse », confie la psychologue, qui évoque en particulier les femmes vivant sous emprise conjugale.


Au fil de ses vingt-cinq années de carrière, Faouzia Sahraoui a croisé de nombreux cas marquants. Elle se souvient notamment d’une femme âgée, harcelée psychologiquement par son mari, qui revivait chaque nuit le même cauchemar : lui debout, urinant sur son visage, elle allongée au sol. Une autre victime avait découvert un dispositif de géolocalisation dissimulé sur sa voiture, posé par son compagnon.


À l’image de ce qui est observé pour les violences conjugales, les personnes concernées hésitent souvent à chercher de l’aide ou à quitter leur agresseur. Le harcèlement s’accompagne fréquemment d’un processus d’emprise : « La victime finit par croire qu’elle ne vaut rien, qu’elle est incapable de vivre sans l’autre, et qu’elle ne mérite pas mieux », explique la psychologue.


Dans les situations les plus longues, certaines personnes subissent cette violence silencieuse pendant des décennies. L’une d’elles n’a porté plainte qu’après vingt ans de vie commune. « Elle était cadre dans le domaine de la santé, donc bien informée sur ces questions. Mais son mari l’avait progressivement réduite au statut d’éternelle mineure. C’est en voyant sa fille subir à son tour ce type de comportement qu’elle a trouvé la force de réagir », raconte Faouzia Sahraoui.


L’un des freins majeurs à la judiciarisation de ces situations réside dans la difficulté à apporter des preuves. Beaucoup de victimes ignorent leurs droits ou craignent que leur plainte soit classée sans suite, ce qui arrive fréquemment lorsque la parole de la victime se heurte à celle de l’agresseur.


Cédric Balland insiste sur l’importance de recueillir des éléments concrets : certificats médicaux, arrêts de travail, captures d’écran de messages, historique d’appels… Et contrairement à une idée répandue, les enregistrements audio ou vidéo peuvent être utilisés en justice si la personne qui les réalise est directement victime ou témoin de faits potentiellement délictueux. « Ce n’est pas évident de dégainer son téléphone dans ces moments-là, mais la loi le permet dans certains cas », précise-t-il.


Autre enjeu crucial : la réactivité. Le délai de prescription pour ce type d’infraction est de six ans à partir du dernier fait constaté.


Lors des assises de Strasbourg, Faouzia Sahraoui souhaite également porter plusieurs propositions auprès des décideurs publics. Parmi elles : la création d’une journée nationale dédiée à l’ensemble des formes de harcèlement (aujourd’hui seule la sphère scolaire bénéficie d’une date officielle), une meilleure formation des professionnels de santé, du secteur social, des forces de l’ordre et des magistrats, ou encore l’élaboration d’une grille d’évaluation du préjudice psychologique subi par les victimes. Elle milite aussi pour l’instauration de stages de responsabilisation à destination des harceleurs, comme alternative à une sanction pénale classique.