Politique : un livre met en lumière la carrière et les positions peu connues de Pierre Pflimlin durant les années de guerre et juste après

Le journaliste Claude Mislin a retracé la jeunesse de l'incontournable figure politique régionale... qui a notamment milité aux côtés des ligues d'extrême droite dans les années 30

22 octobre 2021

Claude Mislin ancien rédacteur en chef adjoint DNA
Claude Mislin, à Strasbourg le 21 octobre 2021
Crédit : PM/DKL

Pierre Pflimlin, dans l'esprit des Alsaciens, c'est l'homme politique le plus titré. Ministre à 18 reprises, député, maire de Strasbourg, président fondateur de la CUS en 1967, désormais Eurométropole.

Mais ce n'est pas à ce Pierre Pflimlin là auquel s'est intéressé Claude Mislin, l'ancien rédacteur en chef-adjoint des DNA. C'est à sa carrière avant, pendant et après la seconde guerre mondiale, dans une Alsace et une France où les ligues d'extrêmes droite étaient multiples... et familières à celui qui deviendra avocat puis juge. 

Voici l'entretien qu'il nous a accordé.

 

 

 DKL  Claude Mislin, votre livre revient sur un personnage bien connu des alsaciens... mais plus spécialement sur certaines de ses années. Lesquelles ?

 Claude Mislin  "On connaît bien Pierre Pflimlin en Alsace ! On ne le présente plus, c'est un mythe. C'est l'homme politique le plus titré : il a été 18 fois ministres, plusieurs fois député, maire de Strasbourg, président de l'Eurométropole [anciennement CUS, NDLR] et président du Parlement Européen ! Sur ce plan là, je pense que Pierre Pflimlin fait même l'unanimité.

Quand on considère sa jeunesse, on n'est plus sur les mêmes critères. J'ai découvert lors de mes études, il y a longtemps, que Pierre Pflimlin avait été "Jeunesse Patriote", c'est à dire membre d'une ligue d'extrême droite. Il a également été très proche de l'Action Française (et la lisait tous les jours). Ce passé m'a interpellé et j'ai gardé ce sujet dans un coin de ma tête pour le traiter un jour.

Personne ne l'ayant fait entre temps, je me suis sérieusement mis au travail et pris l'affaire en main. J'ai fait des recherches, lu beaucoup de choses sur lui. Et on est loin du mythe qui a été retenu en Alsace par à peu près tous les alsaciens...

 

 DKL  Est-ce que l'on sait pourquoi toute cette partie de sa vie n'a pas été dévoilée, que cela soit par lui-même ou par son entourage, sa famille ?

 Claude Mislin  Pierre Pflimlin n'en a pas parlé, en tous cas jusqu'en 1989, date de l'année durant laquelle il a arrêté la politique. On comprend pourquoi il a commencé à se libérer ensuite. Entre temps, il a tout fait pour que l'on en parle pas. Une espèce de nomenklatura strasbourgeoise a également tout fait pour que cela ne s'ébruite pas non plus... Il y a ceux qui savaient, cela représentait peu de monde, mais le grand public n'était pas au courant !

Ma préoccupation en tant que journaliste a été de faire bénéficier de ces informations à tout le monde.

 

 DKL  C'est carrément une forme de "mémoire sélective", comme vous en parlez dans le livre... et Pierre Pflimlin semblait l'assumer publiquement ?

 Claude Mislin  Un jour, Germain Muller a croisé Jean-Louis English et Daniel Riot [auteurs d'un livre de conversation avec Pierre Pflimlin, paru en 1989 : "Itinéraires d'un Européen" NDLR] et lors d'une conversation, il leur dit "il ne vous dira jamais tout !".

 

 DKL  Est-ce que cela a été difficile de retrouver des témoins, de contacter les différentes sources au sujet de Pierre Pflimlin ? D'autant plus que son parcours l'a emmené un peu partout en France.

 Claude Mislin  Il a d'abord été à Vichy (...) avec sa femme et il y a, pendant neuf mois, été responsable de la propagande du secrétariat général de la jeunesse (...) Il est ensuite passé du statut d'avocat au statut de juge grâce au piston d'un autre alsacien nommé Demange, originaire de Sélestat. Il est nommé à Thonon à la fin de l'année 1941. C'est là que naît d'ailleurs son fils Etienne, qui prendra des années plus tard la direction du groupe Crédit Mutuel. 

Pierre Pflimlin passe là près de trois ans et demi à juger notamment des Juifs qui étaient attrapés car ils essayaient de passer la frontière pour se rendre en Suisse. Il le reconnaît lui-même et les historiens le confirment : dans ce tribnunal, on jugeait assez légèrement les Juifs qui étaient pris "dans la nasse". Mais toujours est-il que l'on appliquait le droit antisémite de Pétain.

Ensuite, s'ouvre une autre période où Pierre Pflimlin est appelé à Metz, où il est chargé de mettre en place la justice destinée à faire rendre des comptes aux collaborateurs. Cela pose des questions. Je n'ai pas réussi à savoir pourquoi il est passé de Thonon à Metz. En Lorraine, Pierre Pflimlin retrouve un ami politique d'extrême droit, Joseph Bilger, qui a été condamné à la fin de la guerre à 10 ans de travaux forcés.

Est-ce que Pflimlin a choisi d'aller à Metz pour "sauver" son ami politique ? Je ne le sais pas, c'est une question qui reste posée.

 

 DKL  Votre ouvrage bénéficie d'un bon accueil de la part du public et de la critique. Cela veut dire qu'il était attendu ?

 Claude Mislin  Cela prouve que c'est encore un sujet "chaud" en Alsace, y compris politiquement. A mon avis, de savoir que Pierre Pflimlin n'a pas de passé de démocrate-chrétien avant la guerre, c'est un fait important ! Même si avant la guerre, il a commencé à basculer vers ce bord politique en se rapprochant du FEC [Foyer de l'Etudiant Catholique à Strasbourg, NDLR] où il a été très impliqué, notamment en organisant des conférences avec le Frère Médard [fondateur du foyer et directeur entre 1925 et 1988, NDLR].

D'ailleurs, à la fin de la guerre, le Frère Médard a contribué à "blanchir" Pflimlin de son passé à l'extrême droite, tout en se posant des questions vis-à-vis de l'image que ça allait pouvoir donner et à la création du MRP [Mouvement républicain populaire, créé en 1945, NDLR ] et à l'image de ce dernier, attaché à la démocratie chrétienne et pas à l'extrême droite.

 

 DKL  Les proches de Pierre Pflmlin sont toujours restés très discrets par rapport à cette partie de sa carrière...  

 Claude Mislin  Aujourd'hui, c'est sa fille, Antoinette, qui est en charge de la communication et avec qui j'ai eu des échanges. Elle s'est livrée sur le passé de son père, mais le reste de la famille ne s'est pas prononcé. Même Edouard Pflimlin, un autre fils de Pierre qui est journaliste, n'a rien dit. Il est l'auteur d'un livre pourtant mais m'a renvoyé vers Antoinette.

Il y a encore beaucoup de gens aujourd'hui qui pensent que tous ces faits sont des élucubrations à propos de Pierre Pflimlin, juste destinées à vendre un livre... alors que tous les faits que j'évoque sont tous évoqués par l'intéressé lui-même, à l'exception de la création du mouvement "Force Nouvelle". Tout le reste était connu et ceux qui voulaient savoir pouvaient le savoir !

 

 DKL  Selon vous, il reste encore des zones d'ombres à éclaircir ?

 Claude Mislin  Je n'ai pas encore eu l'occasion de consulter le dossier de magistrat de Pierre Pflimlin. Peut-être qu'on y trouvera des réponses, notamment celle de son passage de Thonon à Metz. 

Il y a d'autres volets que je n'ai pas encore creusé et qui est peu abordé, ce sont les relations qu'il a eues dans le milieu de la presse et de l'économie. Pierre Pflimlin a été obligé de démissionner l'une ou l'autre fois du Barreau de Strasbourg car il s'était impliqué dans des entreprises. Juridiquement, il est resté avocat pendant la guerre et à la sortie de celle-ci, il a fait le choix de rester avocat. Mais il a été "démissionné" de ce poste lorsqu'il est arrivé à la tête du Port Autonome de Strasbourg [en 1970 il en prend la présidence après avoir été administrateur en 1946, NDLR].

(...) Evidemment, j'ai tellement fréquenté ce sujet que je ne lâcherai pas facilement ! Je vais peut-être trouver d'autres éléments, d'autres informations... Ils pourraient figurer dans une version rééditée du livre, qui sait ?!"

 


Claude Mislin parle de son livre au micro de DKL

REPORTAGE | La part d'ombre de Pierre Pflimlin dévoilée dans le livre de Claude Mislin

Claude Mislin

La face cachée de Pierre Pflimlin
Enquête sur la jeunesse d'une grande figure d'Alsace

Editions La Nuée Bleue
174p. - 22€